DOCTOR WHO - 60th Special 1 – The Star Beast
Publié le 2 Décembre 2023
Ils sont de re(parfois re-re)tour ! Devant la caméra, David Tennant reprend le rôle du Docteur, et Catherine Tate celui de Donna Noble. Derrière, le scénariste et showrunner Russell T Davies mène le rassemblement de l’équipe qui a relancé « Doctor Who » en 2005, et transformé la série culte britannique en phénomène mondial : les producteurs exécutifs Julie Gardner, Jane Tranter et Phil Collinson, ainsi que le compositeur Murray Gold (qui a signé la musique de pratiquement tout ce qu’a écrit Davies depuis « Queer as Folk » en 1999).
L’histoire est connue. En 2020, pendant les confinements qui ont marqué les premiers mois de la pandémie de Covid 19, Emilie Cook de Doctor Who Magazine organise des live-tweets d’épisodes de la série, auxquels participent des membres des équipes artistiques ayant participé à la création des épisodes sélectionnés. C’est ainsi que David Tennant, Russell T Davies et Catherine Tate se retrouvent à commenter « The Runaway Bride », le premier épisode dans lequel apparaît Donna.
En plus de cet épisode spécial de Noël, le duo iconique formé par le Docteur et Donna n’est apparu que dans une seule saison, la quatrième (dernière saison complète de l’ère RTD 1). Le tweetalong éveille la nostalgie des participants. ‘‘Ne serait-il pas génial de remettre ça ?’’ se lancent Tate et Davies. Loin d’en rester aux paroles en l’air, Catherine Tate contacte David Tennant, et constate qu’il est sérieusement partant à l’idée de repartir pour un (petit) tour. L’engrenage vient de s’enclencher...
Russell T Davies contacte Piers Wenger, patron de la fiction de la BBC, et lui-même ancien producteur exécutif de « Doctor Who » (au début de la période Matt Smith / Steven Moffat). Dans l’esprit du scénariste, il y a l’idée d’un épisode spécial qui pourrait peut-être s’insérer dans les festivités du soixantième anniversaire de la série. Le mail de Russell T Davies tombe à pic : Wenger sait que Chris Chibnall a l’intention de rendre son poste de showrunner l’année précédent ces festivités, à l’issue de sa troisième saison à la tête du programme. La BBC a besoin d’un nouveau showrunner, et plus que ça, elle a besoin de relancer une franchise lucrative, mais en perte de vitesse.
C’est ainsi que Russell T Davies est redevenu showrunner pour les années à venir, qui seront une coproduction entre la BBC et Bad Wolf, la société de Jane Tranter et Julie Gardner, avec la plateforme Disney+, diffuseur global de ces nouveaux épisodes en dehors du Royaume-Uni.
Cette nouvelle ère sera véritablement lancée avec l’arrivée de Ncuti Gatwa dans le rôle du Docteur, dans le cadre d’un épisode spécial de Noël diffusé le 25 décembre, prélude à une saison complète prévue pour le printemps 2024. Mais avant, place à un coda nostalgique qui trouve ses racines dans les derniers épisodes supervisés par Russell T Davies en 2008 et 2009.
Le premier de ces épisodes spéciaux conçus pour célébrer le soixantième anniversaire de la série (une sorte de mini-saison composée de trois aventures indépendantes) est une adaptation de « Doctor Who and the Star Beast » une bande-dessinée publiée en 1980 dans les pages de Doctor Who Weekly (ancêtre de l’actuel Doctor Who Magazine) qui mettait en scène le Docteur version Tom Baker.
On peut y voir le premier signe d’une volonté manifeste de rassembler les différents recoins du Whoniverse en une franchise globale multimédia. D’ailleurs, la première aventure officielle du quatorzième Docteur, qui reprend les traits de David Tennant, a elle-même été publiée dans les pages de Doctor Who Magazine, en douze épisodes qui ont occupé toute cette année sans nouveaux épisodes de la série (ce qui ne devrait plus se produire avant longtemps. (Cette aventure, « Liberation of the Dalek », qui commence au moment de la régénération et se termine juste avant que le Tardis ne se crashe sur Skaro pour le mini-épisode du programme de charité Children in Need, a été rassemblée dans un livre paru le jour du soixantième anniversaire.)
Mais peut-être faut-il aussi y voir le signe de la difficulté qui représente ce retour (et qui explique certainement pourquoi l’épisode spécial initialement envisagé s’est transformé en trois aventures différentes). D’abord, il y a le fait qu’un épisode montrant le Docteur et Donna se retrouver, semble-t-il par hasard, en réalité réunis par des forces mystérieuses, existe déjà. C’était « Partners in Crime », premier épisode de la saison 4, formidable et inoubliable.
Ensuite, il y a la situation dans laquelle on avait laissé Donna : sa mémoire effacée, une terrible menace planant sur elle : elle est condamnée à une mort certaine si elle se souvient du Docteur. Russell T Davies doit se dépêtrer de cette situation, par un moyen qui n’existait pas au moment de « Journey’s End » (4x13). Par chance, il avait montré Donna enceinte lors de son ultime apparition dans « The End of Time, part 2 ».
Pour finir, tout cela est très dépendant d’éléments de continuité d’épisodes dont la première diffusion remonte à quinze ans. Certes, « Doctor Who » est continuellement rediffusé, et disponible sur plusieurs plateformes (dont le iPlayer de la BBC, qui propose désormais en ligne la quasi-intégralité des épisodes et spin-off produits depuis 1963), mais c’est néanmoins beaucoup demander à un nouveau public. L’épisode s’en montre visiblement inquiet, en dépit du fait qu’une grosse partie de la promotion avant la diffusion a déjà été passée à rappeler là où la série avait laissé Donna. On aurait certainement pu faire l’économie de l’étrange et assez disgracieux récap pré-générique, dans lequel on ne sait pas d’ailleurs très bien si ce sont les personnages ou les acteurs qui nous parlent, d’autant que toutes les informations qu’il donne sont répétées un peu plus loin dans l’épisode. C’est peut-être le signe d’une petite nervosité du côté de Disney+, qui d’ailleurs ne relancera véritablement la série avec une grosse campagne promo que pour les épisodes de Ncuti Gatwa.
« The Star Beast », le comic comme l’épisode, part d’un postulat à la « ET, l’Extraterrestre » (la bande-dessinée a pourtant été publiée deux ans avant la sortie du film de Spielberg), qu’il renverse à mi-parcours. Russell T Davies n’a jamais été particulièrement à l’aise avec l’écriture des mystères à retournement, et il ne traite jamais vraiment sérieusement le postulat de départ, celui d’un mignon extraterrestre qu’une ado essaye d’aider à rentrer à la maison. Si bien qu’on voit venir le twist à des kilomètres (personnellement, dès le début de la promo l’été dernier).
[Edit du 6 décembre.] Dans le podast Doctor Who officiel, Russell T Davies confie que dans sa première version du scénario, il était révélé bien plus rapidement que le Meep était un méchant : dès la scène où Rose s'occupe de lui dans le cabanon. Avec une volonté d'effet comique, le Meep aurait anoncé dès que Rose avait le dos tourné qu'il avait l'intention de l'éliminer, tout en reprenant sa posture de victime aussitôt qu'elle se retournait vers lui. L'idée de reporter cette révélation est venue des notes des producteurs, mais Russell T Davies avoue n'être toujours pas certain que cette version est meilleure. Elle aurait pu l'être si cette idée avait été poussée au bout. Mais en l'état, nous sommes dans un entre-deux qui n'est ni vraiment l'un, ni vraiment l'autre, ce qui tranche avec la confiance absolue qui émane habituellement des scénarios de Russell T Davies.
Reste le spectacle d’un épisode qui illustre le progrès des technologies intervenu ces quinze dernières années, ainsi que l’augmentation du budget permise par le partenariat avec Disney+. À l’écran, le Meep est une créature qui allie différentes technologies : un costume bourré d’animatroniques, réhaussé d’interventions numériques (pour le mouvement de la bouche, des yeux, ainsi que des détails de la fourrure et de la peau des oreilles), mais aussi une doublure entièrement en images de synthèse pour les séquences ou l’extraterrestre se déplace rapidement. Le résultat est bluffant et le mariage des différentes techniques invisible. On est bien loin du temps où les costumes de Slitheen avaient l’air de créatures complètement différentes des Slitheen numériques (dans « Aliens of London » et « World War Three », 1x04/05, 2005).
Le cœur émotionnel de l’épisode fonctionne quant à lui parfaitement, porté par la performance des acteurs phénoménaux que sont David Tennant et, particulièrement dans cet épisode, Catherine Tate. Le spleen de Donna, qui sent profondément qu’il lui manque quelque chose, alors qu’elle a sur le papier tout pour être heureuse, est déchirant. Russell T Davies sait mieux que personne tisser la science-fiction avec le drama intime et familial, et on prend un plaisir infini à retrouver cet aspect de la série, globalement laissé de côté depuis 2010.
Les créatures aliens parfaitement réalisées de « The Star Beast » côtoient ainsi avec grâce une petite scène merveilleuse dans laquelle une grand-mère confie se sentir maladroite quand il faut trouver les mots pour complimenter sa petite-fille trans.
(Et l’on se contentera de bailler démonstrativement devant les articles aussi attendus que paresseux sur un soi-disant Doctor Woke, comme si la série n’avait pas déjà mis en avant un voyageur temporel pansexuel en la personne du Captain Jack, et ce dès 2005. La nostalgie de ce spectateur, elle est aussi pour ce qu’était l’état de la conversation mondiale il y a quinze ans, face au gloubi-boulga des paniques morales ridicules d’aujourd’hui.)
Maintenant qu’il est débarrassé des impératifs des retrouvailles et des problèmes de continuité, on est particulièrement impatients de découvrir ce que Russell T Davies nous a concocté pour les deux prochains épisodes spéciaux. Le deuxième « Wild Blue Yonder », est nimbé de mystère puisque la promotion des trois épisodes spéciaux n’en a pratiquement rien montré. Si « The Star Beast » était présenté d’emblée comme une classique aventure familiale Spielbergo-Disneyenne, ce deuxième épisode est annoncé comme un segment innovant et quasi-expérimental.
Doctor Who : The Star Beast
Écrit par Russell T Davies, d'après une histoire de Pat Mills et Dave Gibbons
Réalisé par Rachel Talalay
❤️❤️❤️🤍🤍